Disquaire indépendant depuis 1996 situé au 40, rue des fontaines, 60600 Clermont de l'oise

LA BOUTIQUE

Je me souviens de ce couple..
La soixantaine rieuse, une complicité dans leurs regards..
Lui, un visage toujours fin et enfantin, elle, de magnifiques yeux qui lui mangeaient la tête..

Ils passaient parfois le Samedi, quand j’avais encore la boutique à Compiègne.

Nous tissons rapidement une camaraderie, je les adoraient..Un rayon de soleil quand ils arrivaient, alors que quelques jeunes clients passaient leur matinée devant les bac rock et reggae, eux prenaient un malin plaisir à trouver dans la chanson française des artistes et interprètes tombés là d’occasion, de Cora Vaucaire à Pierre Louki…

Je ne vous cacherai pas non plus ce singulier plaisir que j’avais à les retenir, ne serait ce qu’une minute de plus, pour le plaisir, comme ça..

Arrive ce jour oû je leur propose un coffret de Bourvil que je venais de rentrer, ils s’approchent, et je sens dans leurs regards complices comme une histoire à raconter..

- Oui ??
- Ahh ! Fait il..
- Mais encore ?
- Une prochaine fois, bientôt j’espère, je viendrai en compagnie de ma maman, c’est elle qui vous racontera !

J’ai beau l’interroger, lui soutirer un renseignement que rien n’y fait, ce sera elle qui me racontera..

Sa maman arrive à un âge ou l’on ne sort plus beaucoup, cet âge ou l’on se souviens..Ou la somme des richesses accumulées apparait tel un livre , un album photo, et bien d’autres choses encore…

Ils arrivent plusieurs semaines plus tard, accompagnés donc d’une dame âgée, mais aux yeux délicieusement malicieux, laissant percevoir une vie bien remplie et certainement prise sous le signe d’un même sourire..

Je sort immédiatement de mon comptoir pour m’approcher d’elle, et lui dépose quatre bises comme si elle avait toujours été de ma famille..
Nous nous regardons un instant, je lui souris..

Je salue son fils et sa femme en les remerciant d’avance d’avoir tenu leur promesse..

Et pendant qu’il visite les derniers disques arrivés, cette vieille dame va me raconter, m’ouvrir une page du livre de sa vie, et m’en narrer la couleur, l’odeur, avec une distinction incroyable, comme l’une des anecdotes la plus chère qui lui soit….

- C’était avant la guerre..Me dit elle..Juste avant, .en 38 me semble t il.., nous vivions près de Lyon, une famille composée de cinq enfants..j’avais une quinzaine d’année quand nous avons hébergé Bourvil à la maison..
Imaginez déjà ma tête..

Tentez de lui trouver le sourire adéquat, vous n’y parviendriez pas..

J’avais les yeux déjà écarquillés..je me délectais de chaque micro secondes..

- Il faisait parti d’une unité musicale, il jouait de la trompette, et c’est ainsi qu’il a du faire la connaissance de mon père, qui était lui-même musicien

Je tente une question..

- Combien de temps l’avez-vous hébergé,,,,
- Quelques mois seulement..le temps pour lui de trouver un endroit définitif ou habiter, mais nous tenions à sa présence parmi nous..
- Mais il n’étais pas connu du tout en fait à cette époque ?, lui demandais-je.
- Non, il était trompettiste, et sa carrière ne débuta vraiment que plus tard..


Je vous jure que rien n’est plus beau qu’une telle personne se souvenant, cherchant la justesse du ton afin de lui rendre toute son empreinte..

- Alors je vais vous raconter comment le soir, je montais très silencieusement les escaliers, afin de le regarder au travers de la porte, je l’avais déjà aperçu faire quelques pitreries, il avait un visage si expressif ! il pouvait lui donner un air aussi grave que jovial..
- Vous…le regardiez au traves de la porte ?
- Oui
- Et qu’apercevez-vous ?
- Je montais chaque soir, et j’avais trouvé un endroit avec une vue parfaite !
- ?
- IL s’essayait, restait des heures devant le miroir, en tentant tel mine, tel expression, accompagné souvent de gestes, sans parler


Je commence à comprendre…Elle a vécu les toutes premiers prémices de la carrière d’un homme dont nous ne connaitront que bien plus tard l’exceptionnel talent..je suis aux anges vous dis-je..

- IL était extrêmement perfectionniste, je le revoie encore restant des minutes entières avec le visage complètement métamorphosé, s’hasardant dans une mimique, pour retrouver ensuite son visage naturel, et en reprendre une autre totalement différente..
Je ne le disais à personne, c’était MON secret…
Et à table le soir, nous n’assistions jamais au même repas, il avait un don, un vrai don pour le comique, nous avions du mal mes frères et moi à regagner nos chambre tant ce spectacle quotidien nous semblait incroyable…
Puis il est reparti un jour…Nous avons gardé quelque temps le contact, et ensuite, il a commencé après guerre a œuvrer dans le music hall, puis au théâtre, et ensuite …au cinéma…



Vous dire la chance, l’immense privilège d’avoir écouté cette petite dame, c’est peut dire..

C’en est une de toucher les gens, de leur faire une réelle révérence lorsque l’occasion se présente, mais rien n’est plus beau que d’être touché à son tour, et de voir dans les yeux d’une si belle personne l’absolue certitude que je trouverai moi aussi un jour les mots pour vous la restituer à mon tour…

Rédigé par Michel Guinand le Mardi 18 Janvier 2011 à 16:49 | 1 commentaire Notez | 1 commentaire


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