Interview - Femi Kuti

Activist for Africa

Jeudi 23 Décembre 2010

« Bad government », « Can't buy me » « Politics in Africa.. Le dernier opus de Femi Kuti: « Africa for Africa » éructe la soif de justice et renoue avec les racines d'un afro-beat, groovy en diable. Dans la foulée de son concert parisien à l'Alhambra le 11 décembre, entretien avec le fils de Fela, qui, comme son père dresse un constat lourd sur le Nigéria...


Interview - Femi Kuti
Wegofunk: «Votre nouvel album « Africa for Africa » est très engagé au niveau des paroles. Peut-être encore plus que les précédents. Vous assumez ce côté très « politique »?

Femi Kuti: Je n'aime pas le mot politique parce que ça sonne comme si j'étais un politicien. Je suis un musicien, qui estime que ce qui se passe au Nigéria ne va pas et que cela ne fait qu'empirer. Quand mon père a commencé à parler d'injustices sociales et de corruption, j'avais 12 ans. C'était en 1972. J'en ai 48 maintenant. Mon fils en a 15 et les choses n'ont pas tellement évolué. Cet album est peut-être plus anxieux et son ton est sans concessions.

W: Quels sont les problèmes actuels du Nigéria que vous dénoncez?

FM: Les mêmes que j'ai malheureusement toujours dénoncés. Nous n'avons pas d'électricité. J'ai regardé les informations à la télé: il y a une épidémie de choléra dans le nord du pays. Des milliers de personnes sont mortes. C'est insensé qu'un pays comme le Nigéria puisse avoir des épidémies de choléra. Nous n'avons pas de bonnes routes. Les habitants sont démunis, n'ont pas d'eau potable, manquent de pétrole... alors que le pays en regorge! Le Nigéria est riche en ressources minérales. C'est le cinquième producteur de pétrole au monde. La France, contrairement au Nigéria, n'a pas de ressources minérales et regardez la différence! Ce qui se passe en Afrique est criminel. C'est la faute des gouvernements supportés par l'Occident. La cupidité, la corruption de ces états aboutissent à la mort de plein de gens...

W: Lors d'une de vos interviews, vous avez commenté la célébration des 50 ans de l'indépendance, cette année, en parlant d'un « triste Nigéria » Vous pensez qu'entre 1960 (date à laquelle la plupart des pays africains prirent leur indépendance ndlr) et 2010 rien n'a évolué?

FM: Encore une fois, si on reprend l'actualité: les docteurs au Nigéria ont observé une grève de deux mois, les universités ont également été en grève. Trop d'hommes et de femmes de ce pays ne peuvent se permettre les dépenses liés aux soins. Les jeunes meurent parce qu'ils n'ont pas l'argent pour s'occuper de leur santé. Est-ce que nous devons renoncer à donner à nos enfants une bonne éducation? Il n'y a pas de débouchés pour eux. Dans ce pays les élites: médecins, ingénieurs, avocats, veulent s'en aller pour travailler dans de meilleures conditions. Tous nos sportifs vivent en Europe. De quoi devons nous être fiers?

W: Quand vous étiez plus jeune votre grand-mère (première syndicaliste du pays ndlr) a été défenestrée, votre père a été torturé par les militaires à cause d'une chanson «Zombie ».

FM: Je m'en souviens très nettement. C'était un des moments les plus tristes de ma famille. On vivra avec ça toute notre vie. Mon père a été battu à mort. Sa tête a été fracturée, la plupart de ses os ont été brisés. Malgré ce qu'il a vécu, Fela nous a enseigné le courage, la ténacité. Il nous a appris à ne jamais faire de compromis avec la vérité.

Je sais qui je suis: moi c'est Femi, mon père c'est Fela

Interview - Femi Kuti
W: Au début, certains critiques vous ont reproché d'imiter votre père. Comment avez vous prolongé sa mémoire tout en restant vous même?

FM: Beaucoup de gens parlent sans savoir de quoi ils parlent. Je ressemble à mon père. Je n'ai jamais essayé de paraître différent physiquement de lui. Mais j'ai toujours su que je n'étais pas comme lui. Je n'ai pas de soucis à discuter de lui, paraître comme lui, parfois danser comme lui mais je sais qui je suis: moi c'est Femi, mon père c'est Fela! Quand les gens ramènent ce sujet je ne comprends pas. Si je me vois dans le miroir et que je ne lui ressemble pas il doit y avoir quelque chose qui cloche! Si, de temps en temps, je ne parle pas comme lui je vais demander à ma mère: qui est mon vrai père? Si je ne ressens pas les gênes de Fela en moi c'est que je dois avoir un souci! Donc je suis très fier de mon père et très fier d'être son fils!

W: Fela est une icône planétaire. A votre avis que reste-t'il de son héritage?

FM: Sa musique sera toujours présente. Mon père a influencé les plus grands musiciens actuels et à venir. Avec son art et sans l'aide de personne il s'est levé et s'est battu contre la corruption au Nigéria. Il a montré cette corruption à l'Occident. C'est grâce à lui qu’ Amnesty international s'est implanté dans mon pays et a réalisé ce qu'il mettait en évidence: l'injustice des gouvernements, des différentes dictatures militaires au Nigéria. Et au delà Fela s'est attaqué à l'indigence des gouvernements africains. C'était un lutteur acharné.


W: Pour revenir à votre propre parcours, vous avez apporté de nombreuses influences à l'afro-beat: de la house dans « Shoki shoki », l'album « Day by day » a fait l'objet de remixes. Vous avez notamment collaboré avec des artistes de rn'b hip hop américains comme D'Angelo, Macy Gray ou Mos Def. Comment avez vous abordé ces rencontres et ces genres?

FM: Quand j'ai une opportunité, je la saisi. J'ai eu la chance de rencontrer de grands artistes hip hop et de construire un pont entre l'Afrique, le Nigéria en l'occurrence, et les Etats-Unis. J'ai pu rencontrer mes frères et soeurs en Amérique grâce à la musique, et échanger avec eux nos luttes et nos cultures. Cela m'a permis d'étendre les possibilités musicales de l'afro-beat En France, j'ai travaillé avec d'excellents producteurs de house et de techno. Mon fils étudie la musique classique. Je ne sais pas ce que sa musique sera dans le futur. S'il me copie j'aurai peu de respect pour lui mais si je le vois développer son propre style je pleurerai de joie et je serai fier de lui! J'ai envie qu'il explore de nouvelles pistes musicales, de nouvelles dynamiques, sans stagner, toujours pousser l'exploration. C'est ce que je fais: pousser la musique au meilleur niveau d'exploration possible, sans trahir l'intégrité, les fondamentaux, les racines de cette musique. Quand je sens que des musiques électroniques enrichissent la mienne, je profite de l'occasion. Si je vois quelqu'un comme Mos Def, je saisis cette chance, même chose pour Common ou Jaguar Wright. Je distille leurs apports comme des gouttes d'eau sur une fleur, pour la faire grandir. Mais toujours en restant fidèle à ma musique. J'espère que mon fils fera encore mieux que moi...


Je trouve la note, la tonalité. Ensuite je prends mon saxophone, je l'enregistre...


W: Dans « Africa for Africa » comment avez vous procédé pour la composition? Quelle est votre méthode de travail?

FM: C'est une question de pratique. Je joue beaucoup, chaque jour. Une mélodie me vient en tête et j'essaie de broder dessus. Le meilleur moment c'est quand je rêve. Par exemple pour composer le titre « Bad government » je dormais et j'avais cet air en tête. (Il fredonne: « papapapapapa ») J'ai commencé à me dire « Oh j'aime ça! Faut que je me réveille. Et si je ne suis pas trop fatigué j'émerge du rêve, je me lève avec cette mélodie qui sonne en moi et je me rue sur le piano. Je trouve la note, la tonalité. Ensuite je prends mon saxophone, je l'enregistre... et je me rendors. D'autres idées peuvent venir de la même façon. Je songe à une ligne de basse qui convient. Je pense à la partie de cuivre. Elle est peut-être trop agressive. Il faut l'adoucir. Une fois que j'ai créé le thème je pense aux paroles. Qu'est ce qui est le plus important à traiter en chanson? Quels sont les problèmes de l'Afrique? Bad goverment, mauvais gouvernement! J'ai le titre. Et alors? Je songe à tous les points forts de ce continent: grands ingénieurs, artistes, athlètes, footballeurs. A Chelsea, Arsenal, en France, les footballeurs africains sont partout. Mais collectivement en tant que continent ça ne marche pas. Alors où est le problème? Bad governement! Et je crée le morceau...

W: Fela a essayé de se présenter aux élections nigérianes avec le Movement of the people. Vous avez tenté l'engagement citoyen avec le MASS (Movement against slavery) La politique ne vous dit rien?

FM: Non, je n'irai jamais en politique. J'y ai beaucoup songé mais je ne m'engagerai jamais là dedans. J'ai toujours fais passer mes messages à travers ma musique. Je suis musicien. Je ne veux pas devenir un dictateur. Je ne veux pas forcer les gens à changer mais leur inspirer le désir de changement...

W: What's next Femi?

FM: En ce moment je défends « Africa for Africa. » A l'époque de « Shoki shoki » beaucoup de gens ont accroché ma musique, ont ensuite été enchanté par le « Live at the Shrine », puis beaucoup de remixes ont été effectués. Après est venu « Day by day ». Les critiques ont encensé cet album. Et puis les gens se sont dit: Qu'est-ce que Femi va faire ensuite? « Africa for Africa ». Certains m'ont dit: « Ooh c'est surprenant! » Maintenant je ne peux pas dormir parce que je suis concentré sur le prochain projet. En 2012 je vous donnerai ma réponse! Je ne sais pas comment mais ce sera un super album. Et j'en ferai encore un et un autre et ainsi de suite…

Propos recueillis le 11 décembre 2010 par Julien LeGros

En savoir plus :

Femi Kuti « Africa for Africa » Label Maison 2010


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