Interview - Reynald 'Crazy French Man' Deschamps

Lundi 25 Septembre 2006

Après plusieurs années de recherche pour écrire l’histoire de la Black Music et sa réception en France, il me fallait interroger le « Crazy French Man ». Depuis plus de 40 ans, il fait partie des pionniers qui se sont battus pour la soul, pour le funk et pour la reconnaissance de la Black Music en France. Dans mes nombreuses interviews des acteurs de cette histoire française, j’avais souvent entendu parler de Reynald « CFM » Deschamps, par Eddie Larmeno (ancien responsable du label Karamel entre 1986 et 1997 et membre du défunt label Night & Day), par Phil Barney (Carbone 14 en 1981/82 puis magasin spécialisé imports « Mini Club de Nuit » en 1983/84 à Montparnasse), par des anciennes cassettes de Radio 7 (émission pionnière Smith & Wesson) et par tant d’autres… Voici donc cette interview réalisée en mai 2006 pour wegofunk.com !


Interview - Reynald 'Crazy French Man' Deschamps
Reynald, vous êtes un personnage important, connus des initiés et des passionnés de black music en France. Vous avez d’ailleurs pris le surnom de CFM « Crazy French Man ». Vous avez eu différentes casquettes (collectionneur, DJ, disquaire, producteur, auteur-compositeur…) au service de votre passion : la musique afro-américaine.
Pouvez-vous d’abord nous dire comment cette musique est arrivée jusqu’à vos oreilles ?




J'ai découvert la musique noire américaine dès mon plus jeune âge, ironiquement comme les jeunes Américains (noirs) sans le savoir... Mon père était un grand amateur de Jazz de son époque. J'ai donc grandi avec du Louis Armstrong, du Little Esther en 78 tours (devenue plus tard Esther Philips). Mon père a découvert lui-même cette musique quand il était étudiant aux Beaux Arts à Paris pendant et après la guerre (45-49). Ce qui m’a naturellement poussé à écouter la musique noire américaine de ma génération (63-69), la Soul Music...
En 1966, j'ai également rencontré John Lee Hooker dans le sud de la France où je passais mes vacances en août (Marseillan Plage) ; j'ai retrouvé les photos....
Je suis devenu un fanatique de Stax en particulier et de Motown en deuxième choix... Junior Walker étant mon préféré, et bien entendu James Brown qu'il est impossible d'éviter. A partir de là, les échanges et achats de disques d'import rares des USA ont pris une grande place dans ma vie, ce qui est allé un peu à l’encontre de mes études de Pharmacie…

Mon apprentissage musical avait été fait très jeune en chantant (à l'âge de 10-13 ans) dans une chorale d'église affiliée aux Petits Chanteur à la Croix de Bois (Saint François de Versailles). La discipline était extrêmement intense : une fausse note en répétition et Boum ! Le coupable devait chanter en solo devant tout le monde toute sa partie... C’était assez humiliant pour un gosse de 11 ans mais extrêmement bon pour apprendre à chanter juste... Nous ne lisions pas la musique (je ne la lis toujours pas) donc on devait tout apprendre à l'oreille, autant dire que plus de 50% des gosses étaient rejetés s'ils ne pouvaient pas suivre Bach ou Haendel à la note et à l’oreille...

Dans la deuxième moitié des années 1960, la soul (communément appelée Rhythm & Blues à l’époque) est très populaire en France. Face à la télévision et à la radio peu ouvertes aux nouveautés afro-américaines, le meilleur moyen de découverte et de connaissance musicale reste la presse spécialisée et ses journalistes musicaux. Dites nous en deux mots…


Je lisais comme la plupart des jeunes de l'époque branchés sur la Soul, Rock & Folk qui a l'époque avait un fantastique écrivain Kurt Mohr... Il était incontestablement le « top connaisseur » en France ; Gilles Pétard a vraiment découvert avec lui également. J'ai appris énormément avec ses articles. A mon avis, il était la personne qui a fait découvrir le R&B et la Soul music en France à l'époque. Puis j'ai rencontré les gens de Soul Bag et j’en suis devenu membre... C’est amusant mon père faisait partie de l'association "Jazz Hot club de France" dirigé par Hugues Panassié (c'était avant ma naissance) et j'ai atterri chez Soul Bag avec Kurt Mohr...
J'ai fait sa connaissance beaucoup plus tard (77-78) juste avant de partir aux États-Unis en 79. Il m'a amené un soir chez lui à Saint Germain des Prés... Sa collection est plus fouillis que celle de Pétard mais incroyable !


Interview - Reynald 'Crazy French Man' Deschamps

Toujours à la fin des années 1960, les discothèques sont un moyen privilégié de la Soul, particulièrement en région parisienne. Quels souvenirs avez-vous gardé de ces clubs ?


Effectivement, la Soul music dans les années 60 était très bien diffusée dans les clubs particulièrement entre 67 et 69-70. Il y avait d’ailleurs plus de « clubs Soul » que de « boites Rock » Mais cela n'a pas duré… En tous cas, 1968 était l'apogée... Les jeunes Français qui traînaient dans les clubs de Paris et de banlieue à cette époque entendaient presque toutes les nouveautés soul de Memphis, Detroit, Los Angeles, Chicago etc. et dansaient sur ces disques sans vraiment les acheter car seules de petites quantités arrivaient chaque semaine dans quelques magasins d'importation. Evidemment, je les connaissais tous et je dépensais tout mon argent chez eux.
Sinfonia (passage lido), Lido Musique, Disc-Jockey de Michel Ramonet (rue de Provence) Richard Peizac en était le directeur. Il est d’ailleurs devenu plus tard directeur chez Pathé-Marconi à l'époque où Pétard y travaillait. Bien entendu mon préféré était Magenta music de Henri Krakovitch, près de la gare du Nord sur le Boulevard Magenta... Maintenant c'est une pizzeria...

L'un des meilleurs clubs pour la Soul music (après pour le funk) en banlieue était le Régiskaïa Club à Meudon-la-Forêt où Vigon et Manu Dibango jouaient avant d'être connus... Le co-propriétaire du club était le directeur du feuilleton Thierry la Fronde et le metteur en scène des Parapluies de Cherbourg (Pierre Goutas). Ce club était absolument le paradis pour les amateurs de Soul music !
Il y avait également un club appelé le Memphis dans le 10e arrondissement (qui existe toujours) et d’autres dont j'ai oublié le nom...
Toute cette musique ne passait jamais à la radio... Mais la clientèle "Club" était complètement fanatique de musique afro-américaine. Le parfait exemple était James Brown qui remplissait l'Olympia et vendait complet en deux jours sans jamais être joué à la radio, encore moins à la télé !

Interview - Reynald 'Crazy French Man' Deschamps
Vous avez assisté à de nombreux concerts à Paris. Lesquels vous ont le plus marqué ?

Mon premier concert si je m’en rappelle bien était celui de James Brown à l'Olympia en (69-70) Il passait le samedi après-midi, le samedi soir et le dimanche après-midi... Je suis allé aux trois...
Mon frère a pris des photos le dimanche quand il est venu avec moi... Un concert mémorable également : celui d’ Aretha Franklin à l'Olympia avec King Curtis en ouverture en 1971... Il est mort quelques mois plus tard à New York, poignardé lors une bagarre entre locataires d'un immeuble qu'il essayait de séparer....
J’ai vu, bien entendu, Junior Walker qui faisait l'ouverture des Temptations (les originaux) en 1973, toujours à l’Olympia. J’ai d’ailleurs revu Junior Walker deux fois à New York dans un club en 1982... toujours super !
En France, j'ai pratiquement vu tous les concerts Soul jusqu'à mon départ aux USA en mars 79... inclus les Spinners et Jimmy Castor à la Salle Pleyel, War à l’Olympia en 1976. J'ai fait leur connaissance aux USA en 1982 chez le distributeur où je travaillais. Lee Oskar m'a laissé son numéro à sa boutique d'Harmonica mais je n'ai jamais appelé... Parliament en 78 à la Villette (Pavillon de Paris, ancien nom du Zénith), le groupe Tower Of Power à l' Olympia que j'ai toujours aimé. Je les ai revus l'année dernière à NY, Marvin Gaye et Edwin Starr au Pavillon de Paris en 1976, Earth Wind & Fire à Paris en 1979.
Je regrette seulement d'avoir raté la tournée Stax à l'Olympia (en 1967 avec Otis Redding notamment…), mais j'ai racheté la collection de photos prises ce jour-là par JP Lenoir (photographe de Rock & Folk)...

Mais vous êtes avant tout un professionnel du disque. Racontez-nous votre parcours avant votre départ aux Etats-Unis en 1979…


Ma collection a commencé vers 1966-67. Etant étudiant, je bouffais mon budget en deux minutes. Donc le moyen pour financer mon addiction à la musique était de devenir DJ. Je suis donc devenu DJ au Régiskaia en 1971, puis au club d'O et dans d’autres à Paris sans me rendre compte que la plupart de ces clubs à Paris étaient contrôlés par les frères Zemour* mais l'argent était bon pour moi dans ces années. Je m'éclatais et je gagnais de l'argent avec la musique que j'aimais...
Malheureusement les goûts des Français changeaient peu à peu... Je devenais, malgré tout, de plus en plus "Black" et Funk. Puis, le Philly Sound est arrivé et j'ai aimé le mélange entre soul et disco. Donc je jouais du Funk et du son Philly jusqu'à 1978, ignorant le Rock complètement.

Puis je suis allé pour la première fois aux USA en juin 75 et j’ai pris une énorme claque. J'ai vu en une semaine Al Green à l'Apollo, Crown Heights Affair dans un autre club, puis les Temptations à l'Apollo. J'ai alors rencontré un Français nommé Charles d'Evremont qui travaillait chez le plus gros distributeur de disques de New York, Record Shack qui fournissait Champs Disques, Clémentine (Montparnasse), Lido Musique… Le propriétaire de Record Shark, Mr Portnoy, a financé Casablanca Records et, de ce fait, recevait tous les disques sur le label cinq jours avant tout le monde...

Puis en 76-77, je suis devenu directeur-acheteur d'une chaîne de magasin d'import (Rosny 2) « Music Pop Import », je "grillais" pratiquement tous le monde sur les nouveautés afro-américaines (inclus Champs Disques). Je passais de plus en plus de temps aux USA et je devins DJ au Moulin de Gambais (le week-end) un petit « club auberge » super (je ne sais pas s'il existe toujours) où Jodie Foster traînait quand elle était en France (elle a de la famille française et parle très bien le français) jusqu'au jour où je reçois un coup de fil de New York... C'était Henri Stone ! Je n'en croyais pas mes oreilles... Le légendaire propriétaire de TK records (T.Connection, KC & Sunshine Band, Timmy Thomas etc.). Il avait également démarré James Brown en 62 et possédait Dade Records, Alston Records, Glade Records etc.
Il me dit :
"I saw your order at Record Heaven ...The single that you want by 100 is not even out yet, and on top of it I am spending money trying to get orders from the US stores by 25... I can't believe that not only you know about it but you give the biggest order in the world, from a small store in France where people do not even speak english... Bravo ! The buyers here don't even know about it... Would you be interrested to work for Record Heaven in NY??? We will take care of your working papers..."
Cela m'a pris 30 secondes pour me décider. Maintenant ou jamais! me suis-je dit... Tout le monde autour de moi espérait me voir de retour dans les mois qui suivent... Well…

En 1976, je travaillais aussi pour Cadi, un importateur dirigé par Mohamed Ousékine, un vieil ami du Régiskaia club (frère âgé du jeune Malik Ousékine tué par la police française en 1986). Mohamed surnommé « Momo » a contribué à me faire partir aux USA, étant également ami avec Charles d'Evremont de Record Shack et le beau frère de Jean-Marc Cerrone qui nous achetait des imports pour ses magasins. Je logeais chez Charles en arrivant aux USA en Mars 1979…

Vous arrivez donc à New York et vous commencez à travailler pour Record Heaven en 1979…

Oui, j'ai été engagé par cette compagnie américaine (Record Heaven) qui était distributeur et label. Leur Label PRISM commençait tout juste... J'ai commencé à travailler pour le label Prism distribué par Record Heaven. Le propriétaire était Lenny Finschtenberg pour lequel j'ai travaillé pendant presque un an... A ce moment-là, j'ai connu le directeur de Salsoul, Glenn Larusso, également Stéphanie Mills à la soirée que l'on a eu pour la chanteuse Régine qui avait un titre sur Prism Records (incroyable mais vrai). J'ai également rencontré Sam Weiss le propriétaire de SAM Records (son fils Michael a créé dix ans plus tard le label Nervous). Je me donc suis trouvé en plein milieu de la période "disco" et disco-funk en 1979 à New York. Je traîne alors au club légendaire Paradise Garage avec Larry Levan aux platines. J'ai pratiquement rencontré tout le monde : l'équipe Salsoul, celle de West End, Marvin Schlechter propriétaire de Prelude....

Mais, à la mi-1980, les choses tournent mal pour Record Heaven : ils doivent des millions à CBS qui les attaque pour non-paiement de droits. Record Heaven ferme donc ses portes en tant que distributeur et signe avec Motown pour la distribution de Prism. Comme 90% des employés, je dois quitter la compagnie au plus vite et je vais directement avec toute l'équipe-export chez leur concurrent qui ne l'est plus puisqu'elle ne s’occupe plus de la distribution...
Je refais mes papiers de travail avec l'aide de la nouvelle compagnie Stratford Distributor, dirigée par les deux frères Silverman qui acceptent. Je signe également comme acheteur un peu plus tard avec Hachette qui avait monté une chaîne de magasin Disque Import USA (California Music)...
En France, à ce moment là, en 82-84, apparaît Mini Club de nuit, créé par Alain Marchesi (vieil ami de Champs disques). On y trouve d’ailleurs Phil Barney comme vendeur... Puis il a fermé et monté une agence d'artistes. Je ne sais pas exactement ce qu'il est devenu mais nous avons travaillé ensemble pendant pas mal de temps dans les années 80...
En 1985-86, j'ai enfin ma carte de résidence américaine (que j'ai changée en 99 pour la naturalisation américaine, j'ai maintenant la double nationalité française et américaine).

Après ces différentes expériences et nombreuses rencontres aux Etats-Unis, vous fondez votre propre label et compagnie de distribution. Bien sûr, au milieu des années 1980, la production funk traditionnelle se tarit. Vous vous impliquez alors dans les musiques électroniques soulful. Racontez-nous…


En 1987-88, je forme ma propre compagnie de distribution MTI (qui comprend les labels Kool Groove Records, REY-D et plus tard USA (United Sound of America....corny). Je signe un contrat de distribution exclusive avec le groupe label Apexton qui inclut Underground label (Frankie Bone etc). Je fonde donc ma compagnie avec l'aide financière du producteur Larry Joseph (producteur de Rock the House sur Tommy Boy) que j'avais rencontré à une soirée Tommy Boy, invité par Tom Silverman... Mon bureau se trouvait au premier étage du studio d'enregistrement légendaire Power Play, le quartier général de Patrick Adams...
J’ai alors rencontré et travaillé avec Rob Bass, Richie Weeks de Weeks and Co, et j’ai produit plusieurs disques avec Vince Montana (vibraphoniste et chef arrangeur du MFSB et Salsoul Orchestra). J'ai également sorti avec Glenn Larusso de Salsoul un single avec Instant Funk....
J’ai donc produit et composé plus de soixante maxis, singles et cinq albums, certains avec Pal Joey (SOHO "Hot Music " réalisé à la fin 1988 qui a vendu plus de 200.000 copies)
Puis, en 1989, toujours avec Pal Joey, Earth People, "Reach up to Mars" et "Dance" sur Underground Record qui devient un hit classique de House Music. J’en vends 80000. A l'époque Frankie Knuckle me téléphonait de Chicago régulièrement quand j'appelais le distributeur local Gerkin Records. Il était DJ au club légendaire Warehouse où la House Music était née.
Je me trouvais soudainement propulsé sur le marché de la « dance music » (House), qui je précise bien, a toujours utilisé des éléments soul sur le plan vocal, un tempo disco de 120 à 130 BPM (beat par minute) avec des keyboards Jazzy : en d'autre mots, "Soulful dance Clubmusic" prédominance afro-américaine. Mon producteur favori de House music à l'époque était Larry Heard de Chicago, il enregistrait sous le nom de Mr Finger.

Vous devenez finalement auteur-compositeur ?

Oui, j'ai commencé à produire et à écrire de la musique en 1990 qui sort sur mon label et sur les sous-labels Apexton. Je suis membre de ASCAP (Société des compositeurs américains) depuis 1991 (Reynald Music) des droits sont perçus également par la SACEM et SDRM en France. Mes connaissances en Soul music et en jazz à travers mes disques m'a donc permis avec l'expérience musicale apprise dans le passé, de travailler en studio relativement facilement avec l'aide de mes amis ingénieurs du son : Warren Rosenstein (Keyboard pour Jelly Bean Benitez à l'occasion), Pal Joey assistant ingénieur à Power Play ou Patrick Adams ingénieur producteur au Power Play Studio.

Je sors sur Underworld ma première production « Jazz It Up ». N'écrivant pas la musique, je dicte les notes, je fredonne les parties de cuivres. Un détail très important en musique afro-américaine (Soul, Funk, Jazz) est que l’on écrit à partir de la partie de basse. Les musiciens jouent en suivant la partie de basse alors qu’en musique pop on écrit une mélodie au piano et on démarre le travail puis on ajoute la batterie. En rock, c’est plutôt d’abord la batterie puis la ligne mélodique…
Sur cette production titrée « Jazz It Up », j’utilise une basse jazz basée sur le titre « Janine » de Lee Morgan puis même le piano en riff (sur un des mixes un sample est utilisé). J'utilise alors une recette « dance music » avec des riffs et des solos jazz puis du scat vocal improvisé par Richie Weeks (vétéran R&B Dance de Weeks & Co). Sur un des mixes, je demande à mon ami Dany Ray, présentateur de James Brown depuis 1962 (Brown était alors en prison), de faire une présentation « à la James » sur un de mes mixes, C’était comme un gag : Here he is the Crazy Frenchman ! (le groupe étant nommé The CFM Band, Crazy French Man Band). On a explosé la baraque : le Billboard Magazine écrit une super critique. En Angleterre, ils signent le morceau sur Fourth & Broadway (Island records) avec une avance de $18.000 pour seulement un mixe du titre. Ils le sortent également sur le CD "Rebirth of cool" en acid-jazz. En France, à l'époque, bien sûr, personne ne connaît. Seuls quelques très rares importateurs le connaissent par l'Angleterre ne sachant même pas qu'un Français est derrière le truc. La presse spécialisée française était en plein « dance-techno », et à la bourre comme toujours... Cependant, quelques articles sont sortis à l'époque en France, à mon grand étonnement, dont un de Romain Grosman*…
Le mouvement « ACID JAZZ » a démarré pratiquement à ce moment-là en Angleterre et aux USA. Le premier label à suivre le style était Instinct Records dont le propriétaire était Jarred Hoffman. Avant d'ouvrir son label, il était critique pour un magasine musical, il connaissait ma musique et il m'a donc signé pour trois albums sous le nom CFM Band. Ironie, Jarred a fait démarrer son label de son appartement dans la 14e rue à New York. A l'époque, pour la petite histoire, il partageait cet appartement avec un jeune musicien inconnu à l'époque nommé MOBY...

Vous êtes français et blanc et pourtant vous avez produit de la « black music » américaine…


Bien sûr, 90% des musiciens avec lesquels j'ai enregistrés sont noirs, sinon blancs mais qui ressentent la musique afro-américaine, ce qui n'est pas aussi rare que l'on pourrait penser... Aux Etats-Unis, la plupart des grands disques de Soul Music ont été faits grâce à la collaboration de musiciens noirs et blancs. Un détail qui est très important dans la musique afro-américaine qui est actuellement la base de mon histoire (et le sujet de notre histoire) le domaine de la musique est pratiquement le seul domaine ou Blancs et Noirs travaillaient et vivaient ensemble aussi bien dans le nord que dans le sud à l'époque où la ségrégation raciale battait son plein...

Le parfait exemple est STAX records fondé au début des années 60 à Memphis : le label et studio (inclus le magasin de disques Satellite records) étaient dans le ghetto noir de Memphis au 926 East McLemore. Ce label, un véritable trésor de Soul music a été créé par deux Blancs Jim Stewart et sa sœur Estelle Axton, les deux premières lettres de leur nom de famille étant ST et AX d'ou le nom STAX... Jim Stewart jouait dans un groupe de Country music et travaillait dans une banque locale First Tennesse Bank et Estelle Axton à Union Planters Bank... Elle a donc emprunté l'argent en mettant sa maison en hypothèque afin d'acheter du matériel d'enregistrement (magnétophone Ampex) la majorité des artistes sur le label étaient noirs mais un nombre significatif de Blancs jouaient et les accompagnaient en tournée et vivaient avec eux : le fils de Estelle Axton, Packy Axton (Charles "Packy" Axton qui formera un groupe en 1965 les PACKERS) évidemment Steve Crooper, Donald "Duck" Dunn, Joe Arnold, Wayne Jackson.

Bien avant dans les années 40, Billie Holiday chantait avec un orchestre pratiquement composé que de musiciens blancs. En tournée, elle devait parfois se cacher en baissant la tête dans le bus de la tournée quand ils traversaient des petites villes du Sud... Souvent, elle ne pouvait pas utiliser la même entrée dans les hôtels. Pourtant la camaraderie et la solidarité entre musiciens noirs et blancs américains était légendaire...

Peu d'européens se rendent compte que l'armée américaine en 1940 était ségréguée : les provisions de sang de secours étaient également séparées (le sang pour les soldats noirs et celui des Blancs était marqué!). Evidemment, ceci n'existait plus à l'époque où je suis arrivé aux Etats-Unis mais les différences se maintiennent par-ci par-là, occasionnellement, cachées puisque illégales.
Dans mon cas, je dois dire qu'étant dans la black music, je n'ai absolument eu aucun problème de ce côté... La musique comme toujours aux Etats-Unis comme sur le reste de la planète a parlé plus que les discours...

Pourquoi ne pas avoir développé tout cela en France, véritablement en retard à côté d’autres pays européens, en termes de réception et de diffusion des musiques afro-américaines ?


Je dois dire qu'une des principales raisons de mon départ aux Etats-Unis est la raison suivante :
Le jeune public en France est ouvert à la musique mais malheureusement le marché était à mon époque (et probablement toujours plus ou moins) contrôlé par une presse d'ignorants prétentieux qui prétendent tout savoir. Le même marché est encouragé par des responsables de maisons de disques encore plus ignorants...

La meilleure musique afro-américaine prend une éternité à toucher le public car les maisons de disques (en particulier, les responsables qui prétendent être en charge) ne font pas ce qu'il faut faire et poussent leur petit "projet personnel". Le public français branché ou moins branché qui ne demande qu'à découvrir en fin de compte a très peu accès à la production réelle...

L'Internet a un peu amélioré la situation dans le sens où les amateurs peuvent échanger les infos plus facilement (comme sur www.wegofunk.com par exemple) mais le gap est toujours là, dû à la presse de masse et les présidents de compagnie qui saturent le public avec leur tubes préfabriqués, d'où ma lutte continuelle quand j'étais en France...
Combien de fois j'ai vu ces "responsables des sorties" assis, un cigare à la bouche, me dire : ce genre de truc n'est pas vraiment notre marché… Je peux donner l’exemple particulier d’un responsable français qui téléphone deux mois plus tard à Londres après avoir lu un article sur un magazine anglais et entendu le même morceau dans une boîte. L'Anglais lui dit : " sorry we licenced it from the US " et lui donne mon numéro de téléphone... Il m'appelle pour avoir un échantillon sans réaliser qu'il s'agissait du disque que je lui avais présenté deux mois auparavant et qu’il avait rejeté... Autant vous dire quelle a été ma réponse... Je ne dirai même pas le nom de la maison de disques !

Interview - Reynald 'Crazy French Man' Deschamps
Après toutes ces expériences, quelles sont vos activités récentes et actuelles ?


Les attentats du 11 septembre 2001 ont changé beaucoup de choses dans ma vie… Je me suis engagé au sein d’une organisation des familles de victimes qui veut rouvrir une enquête et qui refuse de signer une décharge obligatoire afin de recevoir une compensation du gouvernement américain…
Comme beaucoup de labels indépendants à New York, j'ai dû fermer les portes en ce qui concerne la fabrication et la distribution. Mais je suis toujours propriétaire de mes Masters et droits d'édition.

J'ai donc fondé une nouvelle compagnie : WAYS 2 MOVE USA. Je continue d'utiliser les contacts que j'avais avec ma compagnie mais je prends une nouvelle direction, à savoir le management des artistes pour des tournées en Europe. Ainsi, avec mon collaborateur Samy Elbaz, j’ai fait venir récemment Brass Construction pour un concert à Paris au Bataclan (>>>voir notre interview). Nous allons les faire revenir (>>>voir leur dates)...

Je m’occupe également de Plunky & Oneness of Juju que nous avons fait venir deux fois en France : la première fois au New Morning en Novembre 2004 et cette année au New Morning puis à Marseille et à Montpellier. Un DVD du concert de 2004 est d’ailleurs sorti (>>>lire notre chronique). Je suis avec Plunky depuis plus de 15 ans. En effet, ma compagnie MTI distribuait son label. Je l'ai connu par l’intermédiaire de son cousin, un bassiste avec lequel j'ai beaucoup enregistré, Philip "Paris" Ford (leader du groupe BB&Q Band). Il a été également bassiste de Rick James pendant trois ans, et avec d’autres artistes reconnus comme Norman Connors, Evelyn Champagne King par exemple. Cette année, en plus de Brass Construction, je vais faire venir en France, Kyle Jason (>>>lire notre chronique) (Slamjamz Records) un artiste de Soul/Funk extrêmement talentueux produit par Chuck D (Public Enemy) ; Samy Elbaz (Ways 2 Move France) est en train d'organiser la tournée en France...

Voici mes prochains projets... Harold Melvin & the Blue Notes, Dramatics, Blue Magic, The Dells, Fatback Band, BT Express. J'essaye d'avoir des groupes qui sont pratiquement complets, avec la majorité ou la totalité des membres originaux. En ce qui concerne Brass Construction, cinq sont originaux, inclus Mickey Grudge le bassiste qui, avec le batteur Larry Payton, ont écrit les principaux titres... le petit Sandy Billups, percussionniste original né en Virginie... Morris Price, à la trompette et choriste d'origine, Daniel Newman, le seul Blanc du groupe fait parti du groupe depuis le deuxième ou troisième album et peut être considéré comme original. Malheureusement, le guitariste original est décédé, il est mort subitement d'un arrêt du cœur en 2003. Randy Muller, le plus connu, clavier et producteur original, a quitté le groupe il y a plus de dix ans et possède sa propre maison de production, je lui ai parlé au téléphone plusieurs fois au sujet de chanteuses qu'il produisait...

Juste avant de fermer MTI, j'ai été mis en contact avec le groupe Crown Heights Affair... J'avais le groupe original au complet et je préparais un deal avec le leader Burt Reed. Puis il est tombé malade et mort juste quand je reformais ma nouvelle compagnie mais je pense toujours faire venir le reste du groupe. Cette année 2006 a bien commencé. J'ai passé le réveillon 2006 au BB King Club avec toute l'équipe de James Brown qui donnait un concert. Bien entendu son batteur Tony Cook et Dany Ray m'ont mis sur la liste des invites et m'ont présenté à toute l'équipe en coulisse...

Merci d’avoir pris le temps de répondre à ces questions !

* les frères Zemour : fratrie juive originaire d’Algérie qui contrôlait le faubourg Montmartre et le milieu de la nuit dans les années 70

* Romain Grosman : journaliste musical (Vibrations, Les Inrocks, JazzMag...

Vincent Sermet

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